Hommage au Professeur André LACOCQUE

André Lacocque, professeur émérite de Bible hébraïque au Chicago Theological Seminary, est décédé le 28 janvier 2022. Il avait 94 ans. Professeur vénéré et érudit biblique novateur, il a repensé l’étude fidèle d’une écriture partagée, étayée par un dialogue interconfessionnel et une profonde compréhension entre juifs et chrétiens. Il a été le directeur fondateur du Centre d’études judéo-chrétiennes du Séminaire théologique de Chicago, devenu depuis l’Institut interreligieux.
La vocation de M. Lacocque s’est manifestée très tôt. À l’âge de 12 ans, André est devenu perplexe face aux efforts de l’Allemagne pour éradiquer le peuple juif. Sa famille était amie avec des Juifs et il les connaissait comme des gens gentils, pacifiques et beaux. Il ne pouvait pas supporter la haine qui privait quiconque de sa dignité. Ayant été témoin des tragédies que la haine inflige, il a consacré sa vie à comprendre comment la Bible et son interprétation ultérieure par les juifs et les chrétiens peuvent nous aider à résister à cette voie.
La maison où André a passé son enfance a servi de refuge à une famille juive et de source de soulagement pour de nombreux habitants de la ville. Son père était pasteur d’une église réformée et l’engagement actif de ses parents pour contrer les croyances antijuives, tout en menant des études bibliques dans leur maison, a servi de modèle de rigueur intellectuelle et de service rempli de foi. Parmi les familles de la paroisse se trouvaient les Tournay, qui abritaient également une famille juive. Alfred Tournay était un leader local de la Résistance dont le fils, Jean, fut arrêté et envoyé dans un camp de concentration où il mourut. Sa fille, Claire, est devenue l’amie intime d’André. Ils se sont mariés après la guerre en 1949 et sont restés partenaires jusqu’à sa mort en 2011.
Claire et André partagent le même désir de soulager la souffrance. A la fin de la guerre, ils rejoignent la CIMADE (Comité intermouvement d’aide aux évacués) à Paris, où Claire enseigne le français et lui sert d’aumônier ; ils sont ensuite affectés à Ludwigshafen am Rheim, où les raids de guerre ont détruit 75 % de la ville. En 1954, l’Eglise Chrétienne Missionnaire Belge l’ordonne pasteur. Il devient professeur d’Écritures hébraïques à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles de 1957 à 1968.
En 1966, le Chicago Theological Seminary (CTS) l’appelle pour enseigner la Bible hébraïque/Ancien Testament, ou ce qu’il appelle le Premier Testament. Il y est resté pendant 30 ans. Il a fondé le Center of Jewish-Christian Studies (Centre d’études judéo-chrétiennes), un centre de recherche pour les candidats au doctorat qui servait également l’intérêt général en organisant des conférences publiques pour promouvoir la compréhension et l’éducation interconfessionnelles. Par la suite, M. Lacocque a élargi sa vision pour y inclure des universitaires et des conférences islamiques, en organisant la première conférence nationale sur les femmes et l’islam, dont la tête d’affiche était constituée d’universitaires musulmans. Ce Centre d’études juives, chrétiennes et islamiques réaménagé a été l’un des premiers centres consacrés à la compréhension interreligieuse entre les traditions abrahamiques dans le pays. Baptisé par la suite InterReligious Institute, il a pour mission d’étudier, d’éduquer et de militer en faveur d’une meilleure compréhension entre les personnes de toutes les orientations spirituelles.
M. Lacocque a également invité le rabbin Herman E. Schaalman à enseigner les études juives au CTS et à donner des cours conjointement avec lui. Grâce à leur travail commun, le CTS a pu créer la chaire Herman E. Schaalman d’études juives, la première chaire de ce type dans un séminaire protestant autonome. M. LaCocque a donné des conférences dans des universités et des établissements d’enseignement supérieur du monde entier et a également enseigné fréquemment dans des synagogues, des églises et des rassemblements interconfessionnels. En l’honneur de son engagement de toute une vie en faveur du dialogue interreligieux, le CTS a renommé sa conférence de printemps en son honneur. Il a reçu la nouvelle de la « Conférence interreligieuse André LaCocque » peu avant sa mort.
Ses travaux révèlent un érudit en dialogue avec le Divin ; pour Lacocque, « le Dieu biblique veut traiter avec un partenaire libre-penseur ». Le Premier Testament met en scène des héros imparfaits, des voix marginalisées et d’autres, et montre comment l’alliance nécessite le dialogue, la conversation, la question et la réponse – toujours dans la poursuite de l’impératif deutéronomique de choisir la vie. Le livre de M. Lacocque But As For Me, The Question of Election for God’s People démontre que l’élection d’un peuple n’est pas un exceptionnalisme, mais un appel à témoigner de l’amour de Dieu dans un monde déchiré par la haine. The Feminine Unconventional (Susanna, Judith Esther, and Ruth), offre un contre-récit convaincant aux puissants. Sa collaboration avec son ami Paul Ricœur, Penser la Bible (paru aux éditions du Seuil en 1998) a remporté le prestigieux prix Gordon J. Lainge de l’université de Chicago en 1999. Parmi ses autres ouvrages figurent des études sur la Genèse, Ruth, Daniel, Jonas et Esther. Lors de la célébration de son départ à la retraite, le Chicago Theological Seminary a affirmé que M. Lacocque « a donné une audience contemporaine aux voix de la Bible qui se sont élevées contre les visions paroissiales et les expressions de colère au mépris de la volonté du Dieu d’amour ».
La retraite de l’enseignement formel n’a pas diminué sa créativité intellectuelle. Cherchant à « réenraciner la pensée chrétienne dans son terreau juif », il est l’auteur de Jesus the Central Jew. His Time and His People, traduit en français par Jean-Marc Degrève et paru sous le titre Jésus le Juif central. Son époque et son peuple (Les éditions du Cerf, coll. Lire la Bible n°194, Paris, 2018). Il s’appuie sur des sources bibliques et anciennes pour expliquer comment Jésus s’est compris en tant que juif qui a expliqué sa foi à travers la loi et la tradition juives pour révéler l’amour de Dieu pour tous. Le dernier livre de M. LaCocque, Work and Creativity, A Philosophical Study from Creation to Postmodernity, a été écrit alors qu’il était âgé de 90 ans. Il explore l’histoire de la Genèse où Dieu et l’homme travaillent ensemble pour résoudre le problème persistant de la haine alors que nous sommes appelés à aimer. Une fois libérés de la captivité de la haine par le travail, les êtres humains peuvent rechercher la créativité et l’épanouissement.